Tout d"abord, les faits : on rencontre de plus en plus de musiciens de ce que l"on a coutume d"appeler la communauté européenne. C"est une nouvelle endémie culturelle qui a autant à voir avec le développement de certaines technologies (l"Internet, le direct-to-disk, le sampler...) accessibles à tous et une convergence de points de vues, en gros cette techno-culture ultra codifiée et partagée avec la même sensibilité un peu partout en Europe. Artistiquement, il ne s"agit encore que d"un phénomène touchant un strict microcosme musical, mais l"impression est vivace et livrée brut de décoffrage : que ce soit Jimi Tenor en Finlande, Koop en Suède, Gus Gus en Islande mais aussi Mouse On Mars en Allemagne, Kruder & Dorfmeister en Autriche, Silvania en Espagne ou Daft Punk en France... Et encore, ce mouvement de non-musiciens revendiqués, triturant des sons via l"ordinateur, ne dévoile que le sommet d"un iceberg de labels et de structures activistes. Sincèrement, vous ne trouvez pas qu"il se passe quelque chose ? Phonotaktik C"est bien ce que semble penser le Viennois Richard Dorfmeister. Le célèbre duo qu"il forme avec Peter Kruder est devenu en quelques années le "groupe" autrichien le plus connu en Europe. Ce qui n"est pas une mince affaire pour un pays qui, en matière de musique populaire, en était resté aux désolants Falco ou Opus. "Quand j"ai commencé comme Dj, la scène musicale était uniquement préoccupée par les charts. Avec Kruder, il a fallu batailler pour imposer notre indépendance et notre style. Ce n"est qu"en 94 ou 95 que les labels et les artistes ont commencé à se développer, grâce au festival Phonotaktik à Vienne. Avant, il n’y avait que des solitaires comme Patrick Pulsinger et son label Cheap ". Aujourd"hui, la scène musicale fourmille de nombreux activistes, une éclosion sans laquelle Dorfmeister avoue que son projet baptisé Tosca n"aurait jamais pu voir le jour. Un itinéraire pour le moins curieux qui le voit s"échapper d"un duo pour en rejoindre un autre. Exit le placide Peter Kruder ("on commençait un peu à tourner en rond", place à Rupert Huber, musicien attiré par les expérimentations sonores et ami d"enfance, rencontré dans la cour d"un lycée de Vienne. Ils jouent alors ensemble sous le nom de Delhi 9, "un délire sans doute inécoutable aujourd"hui mais ce fut mon premier engagement musical sérieux. En fait, le premier truc électronique que j"ai écouté était Keith Emerson, d "Emerson Lake & Palmer. J"ai acheté un synthé analogique à cette époque, mais je n"en jouais que pour moi. Je m"étais rendu compte qu"on avait l"air plus cool avec une guitare qu"avec un synthé sous le bras". Magnéto Comme beaucoup de jeunes autrichiens dans les années 70, Richard Dorfmeister est une victime consentante de la mode musicale venue de la toute proche Allemagne. Kraftwerk, Can, Klaus Shultze, Neu! sont aussi populaires à Berlin qu"à Vienne. "C"est pour cela qu"aujourd"hui, à Vienne, la .scène y est très électronique et exigeante. Nous avons grandi avec des disques de fous furieux, ce qui nous allait parfaitement parce que Vienne est une ville trop calme et conformiste, rien à voir avec l"excitation culturelle de Londres ou de Berlin". Mais Rupert Huber, la moitié peu loquace de Tosca, part en guerre contre la techno, qu"il ne veut surtout pas voir assimilée à son travail. "Cette techno culture est complètement virtuelle, la Love Parade de Berlin est une grosse arnaque. Les gens font la fête pendant trois jours et après rejoignent leur petit conformisme. C"est absurde. C"est comme la fête de la bière à Munich mais en plus branché". Tosca n"a effectivement rien à voir avec la techno, même si le disque Opera groove de partout et sample un bon nombre d"éléments vocaux. Alors qu"est-ce donc ? "On voulait revenir aux sources du groove, c"est à dire le blues ou la soul music des 70"s. Une musique qui combine les premiers orgues électroniques avec des rythmes de funk. Après nos premiers enregistrements en 94, on s"est rendu compte que beaucoup de groupes avaient suivi le même chemin, comme Tortoise par exemple". Opera de Tosca est un album concept, ce qui, concrètement, se traduit par une construction selon la structure classique d"un opéra en plusieurs actes avec ses entrées, ses sorties, ses intermèdes... Voilà l"histoire officielle livrée avec moult clins d"oeil appuyés entre Huber et Dorfmeister. Mais l"humour autrichien a des imites. `Le fait que je fume plus de marijuana en enregistrant avec Tosca qu"avec Kruder est énormément lié à notre musique. Comme nous sommes amis depuis des années, on se connaît bien. Il n"y a pas de hiérarchie, c"est comme un vieux couple. Le seul problème, c"est de savoir qui nettoie le studio". Après deux maxis (Fuck Dub et Chocolate Elvis) licenciés sur de nombreuses compilations, l"album sort en catimini sur le label de Dorfmeister, G-Stone. Opera est en fait un énorme bric-à-brac de rythmes down tempo, idéal pour danser chez soi. On y recense l"influence de Jah Wobble pour ces lignes de basses monstrueuses, Fila Brazillia pour ces rythmes chaleureux et un nombre incalculable de voix, japonaises, américaines ou françaises, directement sorties de la collection de Rupert Huber : `Je m"amuse à enregistrer des bruits de rue, des voix, n"importe lesquelles, que je mixe ensuite. Je ne me balade jamais sans un magnéto et un micro". A prix d"or On pourrait prendre Tosca comme une parenthèse dans l"oeuvre de Richard Dorfmeister. Sauf que le disque enregistré il y a déjà plus d"un an commence à prendre son essor et se voit même distribué en France via la nouvelle structure Style et Chrysalis. Une opportunité idéale pour rencontrer à Paris cette fameuse french connection qui semble passionner Dorfmeister-le-remixeur. Avis d"un spécialiste "Chocolate Elvis sera remixé par ce que je considère être les meilleurs du mornent: Alex Gopher, Extra Lucid et sans doute Air. Le son français est en train de s"imposer, mais pour nous, ce n’est pas nouveau. Nous sommes fans de Gainsbourg depuis des années, bien avant que la hype ne commence en Angleterre. J"ai des amis qui sont en train de faire fortune en revendant des vieux disques de Gainsbourg à Londres: ils s"arrachent à prix d"or aujourd"hui". Et le très cool Richard de s"enthousiasmer pour le reggae façon Gainsbarre, ainsi que Nina Hagen, Public Image et Antonio Carlos Jobim. Puis de rêver que Tosca se présente sur scène. "Surtout, nous avons voulu que la musique soit possible à reproduire live. Si nos morceaux restent encore pertinents l’année prochaine, quelque chose me dit qu"il en sera de même dans cinq ans". |
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